L'histoire commence il y a quelques années, lorsque l'une d'entre nous, pour y mener des ateliers de théâtre, met les pieds pour la première fois dans un Ehpad. Ce travail, que deux autres d'entre nous rejoindront y amenant la vidéo, est le terreau de notre chantier Vieillesse-s.

De quoi nous parlent vieilles et vieux que nous serons à notre tour un jour si nous avons la chance de vieillir ? De la privation d'être au monde, en relation directe avec ce qui le constitue et nous constitue à son tour. De solitude. De bonheurs perdus. Récits remplis de nostalgie certes, mais au-delà nous nous sommes rencontré.es et à égal niveau finalement nos existences étaient à ras-bord pleines d'un désir bien vivant.

Notre utilisation d’un pluriel pour le mot "vieillesse-s" dit notre conviction d’un état riche de réalités multiples qu'il est urgent de considérer. La vieillesse ne peut être réduite à une catégorie homogène ; elle est le fruit d'une diversité d'histoires individuelles et collectives, elle ré-affirme les subjectivités. En créant des espaces où des personnes vieillissantes isolées se réapproprient leurs récits et sont reconnues dans leur singularité, en nous appuyant sur la puissance de la co-création, nous cherchons à instaurer un dialogue entre les générations.

Dans ses multiples déclinaisons, notre démarche aspire à dépasser les stéréotypes, à former un ensemble de voix, parfois divergentes, à nous interroger sur notre rapport au temps, à la transmission, à la diversité des expériences humaines, à briser les barrières qui invisibilisent les personnes âgées, et ainsi à  participer à une vision élargie du commun pour une société plus saine et plus équilibrée.

 

Enfin, un dimanche, à déjeuner, je leur reparle du film, car pour moi repropulser une idée de travail avec elles, c'est relancer un motif de vie, et un peu défier la mort. C'est aussi ne pas les abandonner.

Suzanne et Louise / Hervé Guibert / Éditions Libres Hallier, 1980. Réédité chez Gallimard en 2005

 

De septembre 2016 à juillet 2017, Claude Veysset mène des ateliers d’écriture et théâtre auprès de résident-es d’un Ehpad du groupe Orpea.

Lors de ces interventions, j'ai perçu les souffrances des résident-es concernant le traitement de leur vieillesse. Un type de souffrance se retrouvait chez la majorité de ces personnes "placées" dans un Ehpad, intrinsèquement et universellement humaine : la privation, imposée et impuissante, d'être au monde, en relation directe avec ce qui le constitue et nous constitue à son tour.

Les vieilles et les vieux veulent parler ! Surtout ceux et celles oublié-es.

Au-delà de la pratique de l’écriture de textes et leur mise en scène, ces rencontres ont laissé une place plus qu’importante à la parole, tout simplement parler et être écouté. Ce temps d’échange autour d’une table, que je me suis mise à enregistrer, qui amorçait chaque début d’atelier est devenu à proprement parlé l’atelier en lui-même.

De janvier 2018 à juin 2021, Claude Veysset reprend ce travail avec des personnes âgées dans un Ehpad associatif du quartier Belsunce dans le centre de Marseille, continuant d’explorer le recueil de leur parole par le biais de l’enregistrement audio, de leur transcription verbatim ainsi que de la vidéo. Accompagnée pour cette dernière par Emmanuel Vigier et Mario Fanfani.

 

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